ATMOSPHERE 2002 :
Damien Saez, une voix qui touche...
L'épaisseur du dossier de presse, consulté en prévision
de la rencontre, en dit long sur le succès fulgurant de cet ex-pensionnaire
du Conservatoire, section guitare et piano,"monté à Paris"
pour faire entendre sa voix. Né, il y a 25 ans, dans le sud de la France,
élevé en banlieue dijonnaise, par une mère éducatrice
de jeunes délinquants et un beau père réalisateur dans
une maison où l'on passait Brel et Brassens en boucle, Damien Saez, fou
de Schubert et de Lou Reed, s'est propulsé de l'anonymat à la
célébrité en un seul album, Jour étranges, sorti
chez Island - le label de U2 et de Bob Marley. Un bouquet de chansons coup de
poing, lumineuses dans leurs désenchantement, des textes engagés,
à 1000 lieues des rengaines calibrées pour la FM. Ce qui n'a pas
empêché les ondes de s'emparer du single Jeune et con, dopant les
ventes de l'album au delà de la barre des 100.000, tandis que la presse
spécialisée ne tarissait pas d'éloges sur "ce fils
spirituel de Rimbaud et de Led Zeppelin". Un Rastignac du rock se serait
empressé de sortir un nouvel album, histoire de capitaliser ce premier
succès. Trop lucide, trop exigeant, trop tourmenté peut-être,
Saez a préféré prendre son temps et mieux comprendre ce
qui le porte. C'est sous la forme d'un recueil poétique, quoique en prose,
qu'il fait partager son romantisme sans illusions mais non sans élans.
Atmosphère. Que représente
ce livre pour vous? Un nouveau défi?
Damien Saez. Un besoin de remise en question par rapport à mon premier
album. La chanson reste un genre batard, ce n'est pas vraiment de l'art et c'est
avant tout de l'industrie. Quand à la musique, elle se détache
rarement de la sensation, et reste vague quoi qu'on en dise. On peut mettre
n'importe quelles images sur une musique, elle vous transporte, elle ne vous
fait pas réfléchir, alors que la littérature ne fait que
cela. Pour moi, il n'y pas d'art plus noble. Qu'il existe toujours à
notre époque qui ont ce courage de vivre face à eux-mêmes,
face à Dieu, face, quoi c'est prodigieux.
A. Comment s'est fait la rencontre avec
Acte Sud?
D.S. Christian Dumais-Lvowski, qui dirige la collection Le Souffle de l'Esprit,
m'a contacté après m'avoir vu aux Victoires de la Musique. Une
performance plutôt provocante par rapport au milieu rassemblé ce
soir-là et qui l'a emballé.
A.Vous avez aussitôt accepté?
D.S. Oui, sans même me demander si j'étais prêt, j'ai foncé.
Il faut faire. Je crois au passage à l'acte. La réflexion n'est
utile que sur le travail, pas avant. Elle n'est constructive que dans la mesure
où la part de la difficulté, voire de l'échec. Cela dit,
ce livre n'a aucune prétention, c'est une introduction, une première
marche vers autre chose? L'écriture, c'est une vieille habitude chez
moi, très tôt, j'ai éprouvé" le besoin de chercher
du sens, alors q'avec la musique, comme je le disais, on reste dans la sensation...
A. Vous affirmez pourtant que c'est la
musique qui vous a sauvé...
D.S. A 7 ans, j'ai éprouvé le besoin viscéral d'un piano.
Je me souviens très précisément avoir dit: "Qu'est-ce
qu'il faut faire pour faire du piano?" Le lendemain, mes parents m'en louaient
un.
A. Rendez-leur grâce!
D.S. Je le fais, ils sont géniaux! J'ai vraiment eu une éducation
irréprochable.
A. On entend rarement ce genre d'éloge!
D.S. C'est la vérité. Je n'ai rien à critiquer en eux.
Ils m'ont enseigné la valeur des choses. Ils ont toujours été
très présents, exigeants ça oui, mais sans m'écraser
par des notions de sacrifice et de devoir? J'ai l'impression d'être un
ovni quand je dis qu'à 18 ans je n'avais pas encore mis les pieds dans
une boite de nuit et que je n'ai pas regardé la télévision
avant d'avoir 13 ans, ce qui m'a permis de m'enrichir de l'intérieur
et, aujourd'hui, de tenir le cap dan sun milieu comme le show-biz...
A. Comment expliquez-vous qu'à
la Fnac on trouve 10 fois plus de jeunes au rayon disques qu'au rayon livres?
D.S. Parce qu'on est dans une culture de l'instantané, de l'immédiat,
et que le livre demande des efforts que les jeunes ne sont plus prêts
à fournir.
A. Alors le livre va mourir?
D.S. Non, parce que rien ne peut le remplacer? Personne n'a envie de lire sur
Internet. Et puis, la littérature, c'est l'intimité, l'enracinement.
Mon amie, d'origine polonaise, est née en Afrique du Sud, elle a un rapport
très fort à ces langues-là...
A. On vous présente comme le Rimbaud
du rock. Vous êtes à l'aise avec ce cliché?
D.S. (Il rit) Je suis incapable de traduire du latin ou du grec! Notre seul
point commun est notre jusqu'au-boutisme. Comme Rimbaud, j'ai quitté
les miens pour vivre l'absolu que je portais en moi, pour tout donner à
la musique, j'ai fait le grand saut, sans parachute.
A. De quels auteurs vous sentez-vous
proche?
D.S. De Baudelaire, certains textes du recueil sont inspirés des Fleurs
du Mal. J'aime aussi Balzac, Zola, Stendhal, des romanciers engagés dans
leurs siècles.
A. Engagé, vous l'êtes dans
vos chansons...
D.S. Oui et c'est une position assez inconfortable. Dénoncer le capitalisme
tout en étant diffusé par Vivendi Universal, ce n'est pas évident.
Dalida, en ce sens me paraît plus respectable.
A. Quelle lucidité!
D.S. Disons que j'essaie de ne pas être dupe du monde où je vis.
A. Vous écrivez: "une chose
me frappe dans notre jeunesse, nul ne part en voyage."
D.S. Je pense au vrai voyage de plusieurs mois, comme en faisait la génération
de mes parents. Il n'y a plus beaucoup de jeunes qui partent au bout du monde
pendant un an. Ils ont peur, on leur dit ferme ta porte car il y a des voleurs,
protège toi car il y a des maladies. Quand j'ai quitté Dijon pour
Paris, on a loué "mon courage" or c'était une nécessité,
une joie.
A. Vous aimez voyager?
D.S. Je n'en ai pas le temps, mais je voyage dans ma tête, avec ma musique,
en travaillant avec des gens de cultures différentes.
A. Ce recueil vous a t-il donné
envie de vous lancer dans un projet plus vaste, un roman, par exemple?
D.S. Je l'ai déjà commencé, une histoire d'amour, mais
qui ne faire pas l'économie du rapport au monde...
A. Qu'est ce qui vous rend heureux?
D.S. Ce roman en chantier, et puis le public, c'est vraiment quelque chose de
magnifique, même si ce n'est pas toujours très sain.
A. Seriez-vous capable d'abandonner la
chanson pour vous consacrez entièrement à la littérature?
D.S. ( Damien Saez, qui au cours de l'entretien, à quitté le canapé
pour s'asseoir à même le sol, genoux repliés sous le menton,
marque un long silence.) C'est trop tôt...et puis, est-ce qu'on peut se
couper à jamais de son premier amour?
Les dates clés de Damien Saez
1er août 1977: ma naissance à St-Jean-de-Maurienne
1981: divorce de mes parents
Septembre 1986: ma rentrée au Conservatoire de Dijon.
Juillet 1991: naissance de mon petit frère.
Avril 1994: naissance de mon deuxième petit frère.
Avril 1996: mon arrivée à Paris.
26 octobre 1999: sorte de Jour étrange, mon premier album.
3 décembre 2001: sortie d' A ton nom, chez Actes Sud.