BEST NOVEMBRE 1999 :
Jeune. Pas con...
A l'aube de transformer sa thérapie chronique, l'enregistrement de son
premier album studio "jours étranges", en thérapie aiguë
(la scène), Damien Saez révèle ses talents à vingt-deux
printemps comme une anomalie dans le paysage musical français. Sa sensibilité
fortement indépendante lutte contre l'archaïsme de l'enseignement
classique qu'il a reçu, et l'acuité de ses visions le projette,
malgré lui, tête de file d'une génération réaliste.
Il chante "jeune et con" ou "j'veux m'en aller", mais en
dépit de ses allures discrètes et fragiles, Saez pourrait bien
être un "empêcheur de finir ce siècle médiocrement".
La manie des biographes c'est de chercher la fine anecdote qui rend l'artiste
formidable, tellement hors du commun. Inévitablement, le meilleur moyen
de "vendre" un musicien de formation classique, c'est d'insister sur
ses diplômes. Avec Damien Saez, sur ce terrain c'est mal engagé.
"Je ne tiens pas vraiment à ce que le conservatoire soit mis en
avant. Je respecte énormément cette expérience, mais ce
n'est pas moi. J'ai fait du piano classique pendant longtemps et ça m'a
aidé. On a beau dire : l'harmonie, l'oreille, le solfège en musique
c'est utile. Mais le conservatoire c'est l'absence d'encouragement à
l'individualité. Au bout d'un moment il est usant d 'entendre que l'on
est voué à rester enterré sous le poids des génies
qui sont passés. Après chacun son caractère. Cela ne me
convenait plus parce que je trouvais ça aberrant qu'il n'y ait aucune
place à la composition. Tout comme en lettres, il n'existe aucune liberté
pour l'écriture. On apprend mais on ne fait rien."
Damien cultive donc sa personnalité très jeune, en parallèle.
Une sorte de lutte auto didactique. "C'est exactement cela, une lutte.
Je me souviens que cette prise de conscience remonte à mes 15 ans, en
seconde. La musique, le chant, l'écriture, tout est venu en même
temps. Pourtant je n'étais pas brillant en français. Et puis,
en classe de première, je suis tombé sur un excellent prof et
j'ai énormément accroché. Sur le plan privé, j'ai
un beau-père très intelligent et cultivé. Durant tout le
lycée, je passais énormément de soirées, à
raisons de deux à trois par semaine, et je discutais avec lui jusqu'à
trois, quatre heures du matin d'autres choses. Ca m'a aidé." Au
fur et à mesure que la conversation s'installe, Damien Saez ne baisse
pas sa garde. Fragilité ? Réserve ? Timidité ? Paradoxalement,
il étonne par son aplomb à vouloir mener une carrière de
liberté, avec un principe du "à prendre ou à laisser".
C'est tellement atypique de nos jours l'image de William Sheller, dans un bureau
attenant, rappelle pourtant que la formule n'est pas nouvelle..." C'est
étrange que tu parles de lui, car Sheller est la personne qui m'a "aidé
".
J'ai fait appel à un agent pour démarcher et Sheller a vraiment
poussé. Il a flashé à un état de maquette très
peu avancé. Lui, c'est un cas. Contrairement à ce que j'ai pu
constater, je n'ai pas eu de concession à faire non plus. Même
face à une multinationale, j'arrive à mon âge avec une envie,
des désirs, une expression... et on m'a laissé tout faire .Ce
n'est pas pour tout le monde pareil Il doit y avoir une question d'identité
.Les responsables doivent sentir si la personnalité du musicien est suffisamment
forte pour assumer et qu'on lui accorde confiance. La démarche est un
peu la même que Sheller. Chacun son métier. Moi, je ne vais donner
aucune leçon de marketing à personne. Je fais simplement extrêmement
attention à l'image. C'est trop trompeur. J'ai peur qu'elle m'échappe.
C'est d'ailleurs la raison pour laquelle on ne voit pas ma gueule sur la pochette.
Je suis méfiant." Son album laisse un goût partagé
entre espoir et désillusion...
"C'est un peu des deux. Je ne pense pas être foncièrement
pessimiste. C'est un album réaliste. Enragé. Il y a tout le temps
un cri. Il y est pas mal question de mort, mais toujours avec une lumière
en perspective. Un sursaut. Je suis combatif contre l'injustice. Je trouve anormal
qu'en France il y ait encore des questions d'intolérance, qu'à
Nice il y ait des lois qui interdisent les regroupements dans la rue... On est
en France bon sang !Tellement de gens n'en parlent pas."
Un jugement précoce qui s'adresse certainement à une génération
particulière... "A la génération qui a mon âge
et qui appartient essentiellement aux années 90. Je suis né dans
le sud. J'y ai passé mon enfance, puis j'ai fait mon collège et
mon lycée à Dijon. J'ai été confronté à
une multitude de constats, que ce soit à Marseille, dans les Alpes ou
à Dijon. Je suis fils d'immigrés. J'ai vécu le paradoxe
des banlieues où je vivais et l'éducation beaucoup plus bourgeoise
des établissements où j'étudiais. J'ai vu les deux aspects
par rapport aux jeunes de mon âge. J'ai vu des fils d'avocats qui n'étaient
pas bien dans leur tête."
Pour Damien Saez, le fait de chanter en français une musique de sensibilité
rock n'est pas antinomique. De qui se réclame-t-il ? "Dans l'expression
française, Brel m'est le plus cher. On pourrait penser que c'est un cliché,
mais pour l'émotion et l'impression de lire Zola ou Balzac. "Ces
gens-là ", "Les vieux", ce sont des chansons réalistes.
Des tableaux . Brassens aussi mais pas pour les mêmes raisons. Sa maîtrise
de la langue, un laborieux qui ne se cantonnait pas à la facilité.
En rock, ce sont des repères différents et des expressions différentes.
Je suis touché par les DOORS, par la manière dont se dévoile
Morrison"
Aujourd'hui, avec la découverte des médias Damien Saez fait son
apprentissage des comparaisons plus ou moins tolérables. "Tout à
l'heure, quelqu'un m'a comparé à Noir Désir. Je n'ai jamais
écouté Noir Désir de ma vie. Je ne connais pas... à
l'exception de quelques singles diffusés en radio. Evidemment tout ce
qui nous passe par les oreilles nous influence, quoique ce qui marche en radio
en devient irritant. Dans ma démarche, écouter les autres n'est
pas une nécessité. Au contraire même. Je fais plus confiance
aux ambiances de ce qu'on vit au moment de la création d'un album. Je
suis beaucoup plus sélectif désormais. Par périodes. Voilà
longtemps que je n'écoute plus grand chose".
Parmi les grands apprentissages de la scène pour laquelle il répète
avec ses partenaires (Marcus Bell ,ex-THE OPPOSITION, et Jean-Daniel Glorioso,
tous deux impliqués dans la réalisation de "jours étranges"),
Damien a connu l'aventure en solitaire, à Nîmes, en ouverture de
MASSIVE ATTACK.
" Je suis apparu seul, en acoustique. Une chanson, si elle fonctionne,
est adaptable sur tous les instruments. Le plaisir fut d'assumer la première
partie d'un groupe qui n'est pas du même style, sans me faire huer et
que les gens viennent me voir pour me féliciter ensuite. C'est peut-être
tout simplement la portée des mots ? ".