CAMPUS MAG DECEMBRE 1999 :
Après des études d'histoire rapidement avortées, Damien Saez se lance sur la scène musicale avec ce premier album, "Jours étranges" , étonnant de maturité et d'investissement personnel. Véritable écorché vif, Damien nous livre sa vision d'une société en proie au conservatisme, sans pour autant crier à la révolte...
Pourquoi avoir intitulé ton premier album "Jours étranges"?
Quel message as-tu voulu faire passer?
Ce titre m'est venu naturellement. Il fait référence à
la chanson de l'album qui me caractérise le mieux. Dans ce morceau, il
ne faut pas prendre les paroles du refrain au sens propre. Quand je chante:
"J'irais tuer mon père", ce n'est pas un message que j'envoie
à ma famille. Non, bien au contraire, c'est avant tout un engagement
personnel contre le paternalisme ambiant qui règne dans notre société
et qui étouffe la jeunesse et sclérose son action. J'ai l'impression
qu'aujourd'hui les jeunes payent pour les incidents survenus en 68. Mon message
à partir de ce moment-là est clair, dire non à ce conservatisme,
hérité du Gaullisme.
Ton style musical, mais aussi tes paroles,
font que les gens te comparent à des groupes comme Noir Désir,
voire Louise Attaque, cela te dérange-t-il?
Absolument pas, d'autant plus qu'il est vrai que mon timbre de voix est assez
proche de celui du chanteur de Noir Désir. Cependant, la comparaison
s'arrête là. je me suis plus inspiré de gens comme Brel,
Brassens, Ferrat, Bono (U2) que des groupes de rock français. Mes textes,
très réalistes, font appel à un univers poétique
important. En outre, certains de mes morceaux sont nettement influencés
par la musique électronique.
Tout au long de ton album, tu insistes
sur l'idée d'une jeunesse prise au piège, sans avenir, tu exprimes
également un certain fatalisme, pour ne pas dire désespoir. Est-ce
ta vision de la société d'aujourd'hui?
C'est vrai que "Jours étranges" a un côté un peu
fataliste, mais cela n'est que le reflet de ce que j'ai pu voir autour de moi,
dans mes relations, dans mon cercle d'amis. Après avoir décidé
d'arrêter mes études d'Histoire à la fac, j'ai pas mal "traîné",
roulé ma bosse et je me suis aperçu que les jeunes entre eux étaient
très critiques et n'arrivaient plus à se retrouver autour d'idées
ou d'évènements fédérateurs. Pour moi, le développement
de l'information, l'accès de plus en plus facile à la culture,
mais aussi à la critique font que les jeunes ont perdu une part importante
de leur naïveté, de leur spontanéité...
... par la faute d'un certain individualisme?
Tout à fait... Mais de toutes façons, c'est à l'image de
notre société qui a littéralement le "cul entre deux
chaises". d'un côté, elle rêve d'humanité, mais
de l'autre elle est tenue par un capitalisme nécessaire à son
équilibre et qui ruine toute tentative d'action communautaire. Mon but
avec cet album est d'élargir l'univers des possibles, d'amener les jeunes
à trouver d'autres chemins,d'autres rôles à jouer que ceux
qu'on leur impose.
Comment te considères-tu par rapport
à ce mal-être que tu perçois?
Plutôt comme un révélateur des maux de la jeunesse, que
comme un leader d'opinion ou ce genre de personnage. mais si des jeunes doivent
se retrouver dans mes textes ou ma musique alors là j'assume parfaitement
mon rôle, et j'en serais très fier.
A l'inverse des autres groupes qui appellent
à la révolte ou à la désinvolture, tu sembles plutôt
privilégier la fuite en avant...
Exactement, "Jours étranges" n'est qu'un cri d'alarme, et non
une incitation à la révolte ou à sa sédition. C'est
avant tout un constat un peu dur et incisif de la société telle
que je la perçois, en aucun cas cet album n'a vocation à créer
un quelconque mouvement de foule. Ca n'est pas son rôle, ça n'est
pas ma philosophie.
Quels conseils donnerais-tu à
des jeunes désireux de percer dans le monde de la musique?
Surtout ne pas perdre son temps, puiser dans tout ce que la vie vous apprend
pour peaufiner sa musique, ses textes. Même dans les pires galères,
dans les moments d'ennui complet, tirer profit de son vécu. Il faut également
avoir une grande confiance en soi. Il ne sert à rien de se décourager
au premier échec, c'est avec de la persévérance, du talent
et de la chance que l'on arrive à se faire connaître...