LE MONDE 28 AVRIL 2002 :
Les colères de Damien Saez en
tournée
Reprises par le chant de mille cinq cents lycéens et étudiants
qui lèvent le poing, les paroles de Fils de France portent haut et fort
le choc toujours pas oublié de la présence de Jean-Marie Le Pen
au second tour de l'élection présidentielle : "J'ai vu les
larmes aux yeux/les nouvelles ce matin/20 % pour l'horreur/20 % pour la peur."
Enregistré par Damien Saez dans l'urgence, le titre a été
diffusé dans la foulée, sur le réseau Internet. Une chanson
de réaction et d'inquiétude dans laquelle se sont retrouvés
ceux qui avaient découvert le chanteur, auteur-compositeur, pianiste
et guitariste avec Jeune et con. Un succès qui avait propulsé
Damien Saez et son premier enregistrement culotté, Jours étranges
(Island/Universal Music), au premier plan de la chanson rock. Avec le danger
d'un retour de bâton que cet enfant du métissage aux racines algériennes
et espagnoles semble bien avoir conjuré aujourd'hui.
Damien Saez est en tournée, un temps repoussée suite à
un différend avec un producteur. Avec lui un groupe solide et habité,
qui donne dans la densité sonore et la rage électrique. Voilà
pour qui aurait douté de sa légitimité sur la scène
rock, au prétexte que ce surdoué trop chanceux serait condamné
à l'éphémère. A La Halle de La Trocardière,
à Rezé, dans les faubourgs sud de Nantes, le 8 novembre, la question
ne se pose pas pour le public. Saez le chanteur et Saez le groupe ont leur place
auprès de Radiohead pour la recherche formelle, la plongée vers
l'expérimentation, comme auprès de Noir Désir pour la pulsion
instinctive, l'efficacité.
Les bras écartés, presque en offrande au public, accroché
au micro, emporté dans une danse de derviche, poussant sa voix rauque
aux accentuations féminines jusqu'à des points de brisure, Damien
Saez vit chaque instant. Il met le même poids, la même intensité
dans l'évocation de la mort du commandant Massoud, dans la belle dérive
amoureuse de St Petersbourg, seul avec une guitare acoustique, dans la colère
revendicative qui frôle le désespoir de Solution ("Nous ne
voulons plus de vos solutions/il n'y a plus de rêves pour cette génération"),
dans l'appel à un Dieu oublieux des hommes (A ton nom), dans la transe
techno de Sexe ou lorsqu'il adapte façon punk sacrilège une rengaine
pop chantée par Kylie Minogue (Can't Get you out of my Head).
Sur la liste de la quinzaine de chansons de combats et de tendresses emmenées
en tournée, Damien Saez a mis beaucoup de son deuxième album,
God blesse (Island-AZ/Universal Music), double CD avec d'ambitieuses orchestrations
de cordes, des improvisations au piano, des striures électro. De Jours
étranges, le répertoire de concert conserve quelques traces (Sauver
cette étoile, Jours étranges, Jeune et co, en version acoustique,
mais pas systématiquement interprété). Autour de Damien
Saez, il y a ceux avec qui il a grandi en musique, le guitariste et parfois
co-compositeur Franck Phan, le batteur Maxime Garoute, très demandé
sur des terrains pointus, le bassiste James Eller, Britannique enthousiaste
comme le bassiste Patrick West. Ce ne sont pas des musiciens aux ordres d'un
leader, mais bien un tout, dans la volonté d'être en accord avec
la pleine lumière de Damien Saez.
Sylvain Siclier