LE TELEGRAMME MARS 2005 :
« C'est complètement brut : juste de la musique et des mots »
Nous avons joint récemment un Damien Saez ravi des retrouvailles avec son public. Entretien.
LE MAG'.- Votre tournée a démarré
le 1 e r mars. Quelles sensations vous procurent vos retrouvailles avec la scène
?
SAEZ.- Excellentes ! La dernière tournée remontait à il
y a deux ans, je crois. De voir qu'il y a beaucoup de monde aux concerts, ça
fait plaisir, ça fait du bien. Parce que, pour être clair et précis,
à l'exception du Mouv', je n'ai eu à peu près aucun soutien
des radios pour mon dernier album. C'est un métier qui supporte de moins
en moins les « alternatifs ». Avec la maison de disques, c'est la
guerre. Et là, je me rends compte qu'il y a une totale disproportion
entre le nombre de gens qui viennent aux concerts et les ventes de disques.
Je viens de faire 3.000 personnes à Metz qui est une ville où
on a dû vendre 300 albums... Le rapport est quand même incroyable.
LM.- Mettez-vous en cause le téléchargement
?
S.- Oui, mais l'un dans l'autre je m'en fous. L'important c'est que les gens
viennent au concert et de voir qu'ils sont restés fidèles.
Je pense avoir la chance énorme d'avoir eu un premier album fort qui
a touché des gens du même âge que moi lorsque je l'ai fait.
Il y a une symbiose totale. Ils se disent, quand on avait 17 ans, il en avait
19 et on parlait de la même chose. Aujourd'hui, il attendent l'album suivant
et voient que l'univers qui y est décrit correspond encore au leur. Ils
se reconnaissent à travers mes chansons.
LM.- Quels musiciens vous accompagnent sur
scène ? Y a-t-il un décor, une mise en scène ?
S.- Les musiciens sont ceux qui jouent sur l'album « Debbie » :
batteur, bassiste, deux guitaristes, claviers et moi. Il n'y a pas de décor,
pas d'écran, c'est complètement brut : juste de la musique et
des mots. Je suis parti sur un concert plus rock que ce que je faisais avant,
où il y avait des parties plus chanson à côté de
parties plus rock'n roll. Cette fois, c'est vraiment le rock qui ressort, l'énergie
qui est privilégiée. Plus tard, à partir d'octobre, je
ferai une tournée tout seul, guitare-voix et piano-voix. Je pourrai alors
jouer plus de chansons du deuxième album où il y avait toute une
partie acoustique.
LM.- C'est le baptême de la scène
pour les chansons de « Debbie ». Sonnent-elles comme vous l'attendiez
?
S.- Tout à fait. Je pense que c'était un album fait pour être
joué sur scène où on a tendance à accélérer
tous les tempos. C'est une bonne source d'énergie. C'est brut, pas trop
arrangé. Les mots ressortent bien.
LM.- Il y a beaucoup de prénoms féminins
dans vos mots, à commencer par celui de Debbie. Mettez-vous un visage
sur chacun d'eux ?
S.- Oui, et le but c'est bien sûr que chacun en fasse autant. Dans le
passé, j'ai fait pas mal de chansons que je qualifierais d'états
d'âme, comme « Usé » par exemple. Pour le dernier album,
j'ai eu envie de mettre de l'humain. Et d'appeler un disque « Debbie »,
même si la chanson qui porte ce titre n'est pas spécialement la
plus représentative du disque, c'est ce qu'il y a de plus humain finalement.
Parce qu'on a tous des images à mettre derrière un prénom.
Et si tout le monde n'a pas connu de Debbie, ça fonctionne en tout cas
forcément avec le prénom Marie, de la chanson « Marie ou
Marilyn ».
LM.- Cette chanson « Marie ou Marilyn
», plus encore que d'autre titres de l'album comme « Debbie »,
sonne très Noir Désir. Est-ce une influence revendiquée
?
S.- Quand j'ai sorti mon premier album, Noir Désir est la première
référence qui a été citée. Mais moi à
ce moment-là, c'était un groupe que je n'avais quasiment jamais
entendu : juste trois fois un single à la radio et puis voilà.
Contrairement à mes potes de l'époque d'ailleurs qui eux avaient
beaucoup écouté la vague Mano Negra, Noir Désir, ce rock
de la fin des années 80.
Noir Désir n'est pas une référence pour moi. Il n'y a clairement
pas filiation mais je pense qu'il y a parenté quelque part dans la mesure
où dans le chant, Bertrand Cantat à la même culture «
brelienne » que moi. Il a, je pense, été le premier à
introduire le type de lyrisme de Jacques Brel dans le rock. Donc s'il y a parenté
entre nous, elle se situe là.
LM.- Votre plus grande référence,
c'est Jacques Brel ?
S.- Oui, et ce qui est fou, c'est que j'ai presque encore plus grandi avec les
chansons de Brassens. Brassens, Brel, Barbara ont été mes trois
« B ». Mais celui qui m'a le plus influencé en terme de chant,
c'est clair, c'est Jacques Brel.
LM.- Comment naît une chanson de Saez
?
S.- Généralement, je pars sur une musique basique et je bosse
le texte. Sur « Debbie », j'ai plus travaillé les textes
que lors des précédents albums. J'y ai passé quatre mois
à temps plein. Je pense qu'il y a deux sortes de chansons : celles qui
sortent en cinq minutes, écrites en un jet, et qui peuvent être
géniales, et puis les autres, où on prend tout le temps de travailler.
Je ne cherchais pas à plonger à fond dans l'émotion sur
le dernier album mais plus dans ce qu'était réellement ma vie
à ce moment là. Du coup, il est plus halluciné comme album.
En fait, je n'ai jamais fonctionné en me disant que j'écrivais
une chanson pour les gens. Je pense qu'on écrit une chanson d'abord pour
soi et que plus elle sera personnelle, plus elle sera universelle finalement.
Je pense qu'on réalise un film universel beaucoup plus sûrement
en racontant l'histoire d'un mec normal que celle de Napoléon par exemple.
Une chanson c'est pareil. C'est juste décrire un état qui exprime
l'envie de vivre ou le questionnement.
LM.- Pour les arrangements, aviez-vous décidé
de mettre les guitares avant ?
S.- La volonté était vraiment de faire un album rock. Mais pas
le rock qu'on entend le plus souvent aujourd'hui qui est quand même très
FM, très poli, avec des guitares qui ne font pas mal aux oreilles...
LM.- Question interprétation, vous
privilégiez le lyrisme, avec une prononciation par exemple des «
é » en « ê » qui peut sembler maniérée.
Pourquoi ce choix ?
S.- Je n'arrive pas à faire autrement. J'ai eu des soucis avec les «
é ». Je viens du sud, j'ai grandi dans le nord et à un moment,
j'ai fini par ne plus trop comprendre les prononciations. A propos des «
é » et des « ê », on m'a fait la remarque en
studio. J'ai essayé de changer mais du coup je ne pouvais plus me concentrer
sur mon chant - parce que j'enregistre les chansons en une seule prise -, et
j'ai laissé tomber. De toute façon, ce n'est pas du tout quelque
chose qui moi me dérange. Je sais qu'il y a des gens que ça gène
mais aussi d'autres qui disent que c'est très bien. Je voudrais qu'on
fasse avec comme avec Stephan Eicher dont on se fout complètement de
la prononciation, parce que ce n'est pas ça qui compte, ce sont les chansons.