L'HUMANITE MARS 2005 :
« Jai le sentiment de fuir quelque
chose » Damien Saez
Chanteur culte du rock français, Damien Saez sapprête à
remplir le Zénith et le grand Rex, sans promotion ou presque pour lalbum
Debbie
« Je nai pas le souvenir davoir été aussi bien depuis le tout début, il y a huit ans », dit Damien Saez qui sapprête à remplir deux salles parisiennes, le Zénith et le Grand Rex, sans promotion ou presque. Il faut dire que celui qui passe pour lenfant terrible du rock français est un homme de scène au charisme exceptionnel. Depuis Jours étranges, son premier album, le chanteur na cessé de faire part de ses tourments et de ses révoltes. Puis il y eut God Blesse-Kategena, double album teinté de spleen, de lyrisme et de rock, qui fit de linterprète de Jeune et con ou Jveux men aller, un artiste définitivement à part, décidé à mener sa carrière librement. Lauteur du manifeste « Fils de France » - hymne à la Résistance écrit en réaction au résultat obtenu au premier tour par le candidat dextrême droite aux élections présidentielles de 2002 - na jamais écouté que son instinct. Une attitude qui a fait de lui un chanteur culte en phase avec les inquiétudes des générations actuelles. On la dit provocateur et arrogant, Damien Saez est surtout un artiste au très grand talent. À vingt-sept ans, il a récemment sorti son troisième opus, Debbie. Rencontre.
Votre dernier disque na pas battu des records de ventes, pourtant vous réussissez à remplir le Zénith et le Grand Rex à Paris. Comment expliquez-vous ce décalage ?
Damien Saez. Je crois que le schéma qui passe par le marketing des maisons de disques, ne correspond pas à ce que je fais et, donc, ne correspond pas aux gens qui viennent me voir sur scène. Mon tourneur, qui produit des tas de groupes anglo-saxons ou français, me dit quil na jamais vu un tel décalage. Je crois que cela reflète un mode de pensée de mon public, qui supporte mal les campagnes de pub autour dun artiste. Cest générationnel. De la part des maisons de disques, cest réellement une incompréhension envers ce quest avoir des opinions, ne pas faire de concession, de la part dun artiste qui ne souhaite pas faire telle radio ou télé. Ce nest pas de la complainte de ma part, cest un constat : on fait de la promo pour avoir le maximum de chances de faire de monde. Ce système ne me convient pas. Cest pour cela quà lavenir, je vais plus faire un album sur scène plutôt que lenregistrer en studio et enchaîner par la tournée. Jaimerais inverser les choses, revenir à ce quétait le métier au moment de Brassens où on chantait dabord sur scène ses nouvelles chansons et on les enregistrait après.
Vous pensez quartistiquement on y gagnerait en authenticité ?
Damien Saez. Cela permettrait de revenir à ce quest la réalité de lécriture des chansons que lon va interpréter. Un troubadour qui livre sa peinture sociale ou affective directement, sans passer par des intermédiaires.
Qui est Debbie cette femme qui « danse nue dans les bars » ?
Damien Saez. Une fille de la nuit qui se déshabille et danse. Javais envie de décrire cette rencontre. Auparavant, jétais dans quelque chose de lyrique et généraliste où je disais facilement « nous ». Là, jai ressenti le besoin décrire des textes en utilisant « je » ou « tu » et de faire intervenir des personnages et des prénoms dans un décor plus clair, sans détour.
Sur scène, vous êtes très expressif. Quelle idée vous faites-vous du métier de chanteur ?
Damien Saez. Cest bizarre. Parfois, jai limpression que les gens paient pour venir voir la souffrance, étant donné que je nai pas vraiment de chansons gaies. Certains soirs, je me sens en décalage. Il y a un côté psychanalyse au quotidien, même si un concert cela reste une vraie transe faite dune communion. Il y a un partage et du voyeurisme. Cest un rapport un peu pervers.
Que répondez-vous à ceux qui vous trouvent arrogant...
Damien Saez. Je ne pense pas lêtre. Quand je suis arrivé dans ce métier, je lui ai fait comprendre que je ne faisais par partie de sa famille et que je nen ferai jamais partie. Cétait déjà renier des fonctions et notamment les fonctions médiatiques. Jai besoin de la vraie vie. Il ny a quelle qui est intéressante. Le reste ne nourrit pas intellectuellement. Remplir, comme Hubert-Félix Thiéfaine, un Bercy, sans avoir la promotion dune seule radio, je signe tout de suite. On ne doit pas être dépendant dun réseau câblé ou dun opérateur radio. Sinon, on est quoi ? On écrit des mots, des sentiments. Cela na rien à avoir avec un jingle.
On vous sent un peu rebelle...
Damien Saez. Quelquun qui ne dit pas comme tout le monde, dun seul coup, cest de la rébellion. Je crois que cest surtout être soi. Si cela veut dire choisir certains sentiers aux autoroutes, alors je préfère être comme cela. Préférer ne pas vendre de disques forcément, et ne pas faire la pute, ce nest pas être rebelle. Cest vouloir exister en faisant des choix. La réponse de la scène montre quil y a des gens qui adhèrent à une façon de penser.
Quelle lecture faites-vous de la chanson Marie ou Marilyn qui pose cette question « quel est le chemin ? la vierge ou la putain ? »
Damien Saez. La réponse dit : « peu mimporte ton nom, du moment quil y a la passion ». Cest un hymne à la chair et donc un hymne à la vie de part son style charnel.
Comment expliquez-vous que la mort revienne sans cesse dans vos textes ?
Damien Saez. Langoisse, angoisse également de perdre lautre. Ce nest pas une fascination dans le sens où je ne suis pas quelquun de suicidaire. Jaime trop la vie. Cest un cliché, mais cest dans le noir que lon aperçoit la lumière, que lon entrevoit la force et la beauté des choses. Jai toujours eu ce truc de course par rapport au temps. Cest pour cela que jai sorti mon premier album jeune. Pour aller vite, ne pas rester dans linactivité. Jai très tôt eu le sentiment de fuir quelque chose. Mais si on écoute mes chansons, on part toujours de quelque part pour aller là-bas. Dans Autour de moi les fous, il y a Martin et Lisa qui disent : « dire quon avait des rêves, rappelle-toi ». Et dans Tu y crois, je chante « Il doit y avoir autre chose ». Il y a toujours une lueur despoir.
Il va y avoir le Zénith, le Grand Rex...
Damien Saez. On va présenter une formule rock avec cinq musiciens. Ensuite jenchaîne par quatre-vingts dates tout seul, avec guitare et piano à partir doctobre. Cest une mise en danger nécessaire. Jai vraiment envie daller à la rencontre la plus épurée de ce quinterpréter des chansons. Des accords de musiques, une voix, seul au milieu des gens. Voir ce que lon est capable de donner sans artifices. Cest la seule façon dexister réellement.
Entretien réalisé par
Victor Hache
Album Debbie Mercury-Universal.
Concerts : À Paris, le 31 mars au Zénith et le 23 avril au Grand Rex, puis tournée en solo à lautomne.