OPENMAG MAI 2000 :
Avec Jours étranges, son premier
album Saez, de son prénom Damien, un jeune Dijonnais, auteur-compositeur,
est entré en production par la grande porte. Celle d'une major, multinationale
de surcroît. Donc, chez Universal, on croit encore au rock français
à textes. C'est bon à savoir. Et même si Saez a eu de la
chance au démarrage, ce sont bien ses chansons inspirées qui le
font comparer aux meilleurs du rock hexagonal. L'occasion de rencontrer ce chanteur
qui a tout pour plaire. Du style, de la voix, l'âme un peu sombre, l'esprit
un peu écorché. Rock, quoi!
Comment fait-on pour signer son premier album chez Island ?
J'ai eu de la chance. Je n'ai pas fait de scène, contrairement au parcours
logique quand tu fais du rock. C'est mon éditrice qui a lié contact
avec les maisons de disques pour présenter mes maquettes. C'était
mieux ainsi car il y a des univers qu'il ne faut pas conjuguer. J'ai aussi eu
la chance de rencontrer William Sheller. Je lui ai fait écouter mon disque.
On a pas mal parlé, il m'a conseillé. Le personnage est intéressant.
Il est ailleurs, complètement sur sa planète. C'est ce que j'aime
en lui. En plus, comme moi, il a une formation classique.
Justement, parlons de ta formation, de ton univers musical.
J'ai toujours eu deux formations parallèles. J'ai fait le conservatoire
de piano à Dijon, et mon apprentissage de la guitare tout seul, sans
professeur. Le conservatoire t'apporte une connaissance de la musique, une énorme
notion du travail musical. Mais au bout d'un moment, ça te fatigue. Trop
de génies qui te dépassent. Tu comprends vite que tu ne seras
jamais Mozart, et pourtant tu as envie de faire des choses. Au conservatoire,
il n'y a pas du tout de place pour la composition. On te dit : "Interprète
e qui s'est fait de mieux dans l'histoire de la musique. Etudie les classiques.
Mais de toi-même ne fais rien car, de toute façon, tu ne seras
jamais au niveau." C'est une culture d'interprète assez brimante.
Je me suis donc mis à composer ma musique au piano et à la guitare,
en autodidacte. La première chanson que j'ai composée , c'était
Jeune et con. Je l'ai faite en six minutes dans ma chambre, un soir. Elle est
sortie d'un jet, alors que d'autres titres ont été plus travaillés.
Ce n'est peut-être pas la plus aboutie, pourtant je la trouve forte et
spontanée.
Et pour les textes, comment te vient l'inspiration ?
Mes textes sont réalistes, mais je ne suis pas dupe de ce que je fais.
Mon écriture est juvénile et franche. On a dit que c'était
un peu naïf. Eh bien ouais! L'utopie aussi est naïve. Pourtant, faut-il
vivre sans utopie ?
La plupart de tes textes sont assez pessimistes.
Je ne suis pas pessimiste. Plutôt sombre, mais... la dernière chanson
de l'album, Petit prince, se termine par : "Allez viens avec moi, s'il
faut toucher la lumière." Ce n'est pas le noir complet quand même!
Ton état des lieux de la jeunesse n'est pas très brillant.
J'ai parlé des choses que j'ai vécues avec mes dix potes à
Dijon. Si je suis le porte-parole d'une jeunesse, c'est avant tout de la mienne.
J'ai 22 ans, et quand j'ai écrit ces chansons, j'en avais 20... J'imagine
qu'à Paris c'est la même chose. En plus condensé, avec plus
de paroxysme.
Quel sont les musiciens que tu écoutes ?
En français, c'est Jacques Brel. J'aime beaucoup le partage d'émotions
chez Brel, la culture de la chanson à textes et son côté
social. Maintenant, je penche carrément pour les Anglo-Saxons. J'écoute
du rock depuis tout petit. Un jour j'écoute Barbara, le lendemain les
Doors. Ce mélange d'univers, c'est finalement le mien. En ce moment,
j'aime beaucoup le dernier Placebo.
Quand on te compare à Noir Désir ou Louise Attaque, ça
t'énerve ?
Le fait de trouver des ressemblances, finalement pourquoi pas ? Il y a des journalistes
qui fonctionnent comme ça. Mais parler de décalque ou de copie
conforme comme dans une première chronique de Libération (20/11/99),
c'est vraiment mal interpréter. Dans la chanson Hallelujah, j'ai volontairement
fait référence à U2. Pour moi, il n'y a aucun souci à
m'inspirer d'univers qui me touchent. En revanche, la référence
à Louise Attaque, franchement, je ne vois pas. On ne parle pas vraiment
de la même chose, et nous ne sommes pas non plus dans le même moule
musical. En ce qui concerne Noir Désir, il y aurait en effet plus de
similitudes. Mais Noir Désir est un groupe de rock. Tous leurs morceaux,
du début à la fin, sont construits sur une section batterie/basse/guitare.
Et ils t'envoient la purée. Nous, au contraire, si l'on retirait toutes
les séquences et les samples, on perdrait les trois quarts. Notre album
est plus pop, au sens anglais du terme, plus electro avec plus d'univers que
celui de Noir Désir.
Pour ta tournée, tu vas former une section instrumentale ou electro
?
La tournée a déjà commencé. On est six sur scène.
Une section rock, mais il y a aussi beaucoup de samples envoyés. La batterie
fonctionne également comme une boîte à rythmes avec des
programmes (patches) qui démarrent quand on tape sur une caisse et suggèrent
un univers. Avec le batteur et le bassiste, les deux musiciens avec qui j'ai
fait l'album, on imaginait plutôt un live avec l'énergie rock,
du genre : trois sur scène et vas-y! En même temps, on ne voulait
pas se priver d'une ambiance musicale que seules les machines donnent. Alors,
on n'a pas tranché : on a mêlé les deux.