PHOSPHORE MAI 2002 :
On attendait un album simple, formaté
rock et révolté... Damien Saez nous prend à contre-pied
avec God Blesse, un double album extrêmement varié. Une réussite.
Tendre insoumis
"Damien est presque à l'heure !" se réjouit l'attachée
de presse, un tantinet inquiète. Avec cinq minutes de retard, Damien
Saez grimpe les marches du très select club parisien où il nous
a fixé rendez-vous. Une gueule de beau gosse barrée par un sourire,
il s'étonne de se retrouver, au matin, dans cet endroit réservé
aux hommes d'affaires. "Woah le truc! Rigole-t-il en franchissant le double
vestibule. C'est ma copine qui m'a donné l'adresse. Je pense qu'elle
voulait me faire une blague." Nous voici en tête à tête
dans un salon victorien à deviser rock, politique et révolte.
Ses yeux clairs scrutent le décor tandis qu'il écoute les questions.
Un pantalon de toile, un col roulé derrière lequel il masque sa
bouche en réfléchissant avant de décocher une réponse.
A 24 ans, cette graine de star du rock a des silences introspectifs et des réparties
d'une étonnante maturité. Avec Jours étranges , qui a cartonné
en 1999 à 200 000 exemplaires - sans parler des gravés, hein?
-, Saez n'a pas d'ego-trip. Il prend le succès avec distance. "Je
n'ai pas l'impression de la jouer rock star. Pour moi, les choses commencent
à cet album, God Blesse. Le premier était un brouillon propre,
très léché. Celui-ci, c'est la spontanéité."
La spontanéité, maître mot de l'interview qui s'ensuit...
Katagena
Saez rigole si on l'interroge sur l'origine et la prononciation de ce prénom
-KatarZina -, titre de l'un des deux CD du nouvel album. On comprend vite qu'il
s'agit de sa copine. "Elle est polonaise. Quand j'ai entendu son nom la
premuère fois, je n'ai pas très bien compris. Il y a un côté
"katastrophe" et puis "géna", la naissance. Une contradiction
que je trouve jolie." Quand on pousse l'indiscrétion, il se rétracte
et lance, énigmatique: "Ecoute So Gorgeous (une des chansons de
l'album, ndlr), tu en sauras plus." "Si la grâce avait un nom/Elle
porterait le tien/C'est écrit dans nos yeux /C'est écrit dans
nos mains." Sans commentaire.
Anti-héros
"Le sida, le chômage, les guerres. J'ai vraiment l'impression de
faire partie d'une génération ratée." Il y a longtemps
qu'un artiste, par ses textes, n'était pas paru aussi en phase avec son
public. Mais Saez refuse l'image de porte-parole d'une génération
dont on veut l'affubler. "C'est fort mais dur aussi pour moi de savoir
que des jeunes écoutent mes chansons dans leur chambre, qu'elles prennent
de l'importance pour eux. Alors que j'ai écrit ça tout seul, pour
moi. Je ne pense pas être un repère pour les jeunes. Ils m'allument
pas mal aussi sur le Net. Ils ne comprennent pas tout ce que je dis, mais c'est
bien! Parfois, ils trouvent que j'ai des réflexions de crétin.
Ils attendent un point de vue comme dans une discussion. Je crois que ma liberté
de ton les réjouit. Cela prouve qu'on peut encore faire un disque et
dire ce qu'on pense."
Saez academy
Paradoxalement, Saez le révolté conçoit fort bien que sa
maison de disques, Universal, produise les disques de Star academy ou de PopStar.
"C'est clair, ils font de grosses daubes pour des mômes de 8 ans,
qui achètent du Star academy comme du 2B3 il y a cinq ans. Le budget
de mon nouveau disque a coûté celui de huit albums. L'argent qui
rentre grâce à L5 va également permettre à Noir Désir
ou Zebda de faire des disques. C'est le système! Tu n'es pas content?
Eh bien, monte ta boîte et autoproduit ton disque!"
Sea, sexe and sida
Par ses mots crus, Sexe est l'une des chansons les plus provocatrices de God
Belles. Mais Saez s'insurge quand on parle de provoc'facile. "C'est un
clin d'il au Music de Madonna, qui utilise l'auto-tune (effet qui transforme
la voix de manière nasillarde, ndlr) pour faire de la "sous-house".
Ca me gave dans les boîtes, on dirait de la musique de robot." Mais
derrière l'anecdote, on devine un propos plus profond sur la sexualité.
"Quand je dis que je fais partie d'une génération ratée,
c'est cela aussi! Pas d'amour sans plastique pour nous. Je ne me suis jamais
protégé, cela m'a toujours gavé. Je sais! Je ne devrais
pas le dire, j'ai eu de la chance. Je ne suis pas en train de dire qu'il ne
faut pas se protéger, mais je trouve incroyable que l'on ne soit pas
tous taxés de 10% sur nos salaires pour enfin trouver une solution contre
le sida! C'est bien plus choquant que ma chanson!"
Conscience politique
"Nous ne voulons plus de vos solutions/Il n'y a plus de rêves pour
cette génération." Dans Solution, Saez en a gros sur la patate
politique. Et quand il s'agit de savoir pour qui il votera au prochain scrutin,
la réponse est à son image, révoltée et extrême.
"Je n'ai jamais pu voter. Je ne suis jamais allé au service militaire,
je suis insoumis. On m'a donc privé de mes droits civiques. Ca m'embête
parce que le vrai mécontentement est le vote blanc, pas l'abstention.
Ne pas voter, c'est un non-acte. Si tu te fous de la politique, c'est ton droit,
mais va jusqu'au bout de ta démarche et ne paye pas tes impôts.
Et s'il n'y a plus un rond pour te soigner dans les hôpitaux, ne te plains
pas!" Quand il aura une carte d'électeur, apparemment Saez sera
bien en peine de faire un choix. "Voir des mecs calculer quand il faut
annoncer sa candidature comme s'ils jouaient aux échecs, je trouve cela
dommage. On a l'impression d'assister à une campagne de communication,
pas à une campagne politique."
Famille je vous hais(me)
Originaire de Marseille avant d'émigrer à Dijon, Saez a été
élevé par sa mère, éducatrice. Très tôt,
son père quitte la maison. De cette cassure, celui qui cite Laisse pas
traîner ton fils de NTM comme une chanson à message ressent encore
les blessures. "J'ai mal encaissé certaines choses, je connais mon
père sans vraiment le connaître. J'ai très tôt été
mature. Les profs s'en inquiétaient et convoquaient ma mère car
ils me trouvaient trop réfléchi. J'ai transposé sur des
disques de Brel et Brassens la voix paternelle. Parfois, je me surprends à
pleurer en entendant des chansons à la radio." Il se reprend et
sourit: "Mais je pleure de moins en moins souvent!"
God Blesse on et off
Ce God Blesse (America) risque de siffler aux oreilles de certains comme le
bruit d'une bombe sur Kaboul. Disque marathon que ce double CD de 29 titres,
avec une partie électrique et l'autre acoustique. Le premier, God Blesse,
a déjà enfanté quelques singles, comme Solution, hymne
de révolte contre la classe politique, ou le très sulfureux Sexe.
On pourra lui préférer la romance de So Gorgeous destinée
à Katagena, son amie. Katagena, titre du second disque, est résolument
acoustique. Saez s'y livre au piano à quelques instrumentaux. Puis le
rocker prend une expression quasi "brelienne" avec St Pétersbourg
ou Massoud. God Blesse peut subjuguer ou agacer, mais pas laisser indifférent.
Propos recueillis par Frédéric Garat